Il était une fois sur
une petite île de l’océan Indien quatre héros polaires bien décidés à vaincre
la monotonie de la vie sur base et à partir à l’aventure au bout du chemin
tracteur, plus précisément à l’extrémité sud ouest de l’île, la Pointe Del Cano.
Mais quel est ce nom aux consonances exotiques qui appelle l’esprit vagabond au
voyage ? Il nous vient du navigateur basque Sébastien Elcano qui découvrit,
avec les derniers survivants de l’expédition de Magellan, la Nouvelle Amsterdam
un 18 mars 1522 à bord du Victoria.
Mais revenons à nos
moutons ! Le 8 février, après les traditionnelles viennoiseries
dominicales, départ matinal pour la
pointe Del Cano et ses grandes ravines, situées à l’exact opposé de la base
Martin de Viviès. Le temps est couvert, peu venteux et la marche est agréable.
Notre expédition débute par une longue ascension
jusqu’à la Caldeira en longeant la fameuse coulée Heurtin « histoire de se
mettre en jambe » et pour rallier le plus directement possible la côte
sud. S’ensuit un frugal repas prolongé par une « courte » sieste sur
la crête surplombant la Grande Marche. Il est temps de reprendre la route... Au
détour d’un sentier, nos naturalistes en herbe font la rencontre de quelques
skuas peu farouches...
Nous quittons rapidement le chemin de
caillebotis qui mène au Pignon, l’éperon
dominant les 720m de la falaise
d’Entrecasteaux, pour chausser nos inévitables raquettes à mousses et obliquer
plein sud à travers cette végétation si particulière. D’abord rase et gorgée
d’eau, elle s’élève en joncs, scirpes et fougères à mesure de la descente qui
comme souvent est plus éprouvante que l’ascension. La pente est forte et le sol
invisible et inégal occasionne de nombreuses acrobaties généreusement amorties
par la flore locale.
Cap sur le cratère Hébert
portant le nom d’un des maitres du géologue français Velain ayant séjourné
quelques jours sur l’île entre 1874 et 1875. S’offre alors à nos marcheurs du
jour un magnifique paysage sur le versant nommé Glacis des Joncs.
« Dré dans l’pentu ! » C’est
après une bonne heure de descente et 600 mètres de dénivelé plus bas que nos
héros arrivent enfin à la caisse IPEV permettant aux manipeurs de passage de
trouver vivres et matériel apportant un réconfort bien mérité après tant d’épreuves.
Aux pieds des grandes ravines, reliefs
majestueux et tourmentés créés par l’érosion, entre falaises et pentes
herbeuses, nous sommes accueillis par les hurlements des albatros fuligineux
qui nichent ici. Ils ne semblent nullement dérangés par notre présence (nous
nous gardons bien d’approcher des nids) mais ce miaulement rageur et
surpuissant semble être leur seul mode d’expression.
Tantôt agaçant, tantôt comique comme si parfois
ils prenaient brutalement conscience de leur condition de volatile et étaient
pris de vertiges, ce son avec celui du vent et du ressac nous accompagnera
pendant notre séjour ici.
Mais Del Cano c’est aussi une vue imprenable, depuis la pointe, sur les majestueuses falaises d’Entrecasteaux.
Le lendemain, exploration des grandes ravines,
principalement pour le plaisir des yeux mais également, pour l’agent de la
réserve naturelle, à des fins de prospection botanique. En effet, leur
caractère encaissé et difficilement accessible les a possiblement protégé des deux
principaux facteurs ayant modifié la flore de l’île : les bovins et les
incendies.
La progression est encore une fois malaisée sur ces pentes escarpées et nous devons choisir notre itinéraire avec soin pour pouvoir rallier le fond des valons.
Les cascades y sont à sec et notre espoir d’y
prendre une douche vivifiante est anéanti. Malgré tout une bonne surprise nous
attend, l’examen attentif des falaises qui nous surplombent révèle la présence
d’une dizaine de poussins d’albatros fuligineux.
Alors
qu’aucun de leurs homologues de la colonie d’étude d’Entrecasteaux ne sera à
l’envol cette année comme nous l’a appris hier par VHF notre ornithologue en
chef. En fin de journée, avec la chute de la température, l’air se fait plus
clair et nous apercevons très nettement l’île Saint Paul à l’horizon. Vision
"merveilleusement réconfortante" que celle d’un îlot inhabité situé à 80km, seule
terre émergée à des milliers de kilomètres à la ronde !
Après une deuxième nuit à la belle étoile, il est temps
de retrouver le chemin de la base, un long transit attend nos hivernants, sept
heures de marches dans la « brousse » pour longer toute la côte Est
jusqu’à La Roche Godon.
En approchant de la
pointe Vlaming à l’extrême Sud, ils traversent les Terres rouges, étroite bande
côtière, tirant son nom d’un sol dont les couches superficielles ont été décapées,
mettant à nu un horizon d’accumulation
d’oxyde de fer induré.
Un dernier effort, on y est presque ! Ça y
est ! Les randonneurs de l’extrême ont enfin rallié le chemin tracteur au niveau
du Vieux bois de Phylica, leur permettant de rentrer sur base sans encombre,
les jambes biens fatiguées mais des paysages plein la tête !
Arnaud RHUMEUR, Park Ranger
Julien SOUVILLE, Bibams