mardi 21 janvier 2020

Une féminisation réussie à Amsterdam


La présence permanente de femmes au sein des missions australes est assez récente.
Leur arrivée dans les districts a occasionnellement été mal comprise par certains hommes misogynes, alors que d'autres s'en sont félicités. Leur place, désormais indiscutable, a parfois été difficile à conquérir.
L'existence des premières femmes sur le district de Saint-Paul et Amsterdam date :
- de 1870 pour Madame HEURTIN, épouse du colon réunionnais, qui s'installe avec sa famille sur l'île d'Amsterdam pour y établir une ferme. Cette colonisation est un échec quelques mois plus tard la famille quitte l'île ;
- de 1929 pour Louise Le BUNOU, l'une des trois rescapés des oubliés de Saint-Paul, enceinte de Paule (du nom de l'île), qui décèdera deux mois après sa naissance.
 Pour les missions scientifiques contemporaines, la première mixité à Amsterdam date de la fin des années 90, sans précision, mais avec une certitude de la présence féminine dans les effectifs de la 51e mission en 2000, composés de 4 femmes pour 23 à 27 hivernants, en fonction des saisons (voir le tableau infra). Sur le district de Crozet, c'est dès 1996-1997 (34e mission) qu'elles intègrent les missions permanentes.
Les remarques contrastées sur les débuts de la féminisation permettent de constater que, pour certaines d'entre elles, l'hivernage a pu être difficile.
Parmi ces remarques, quelques-unes sont machistes, mais la plupart plutôt favorables à la poursuite de l'ouverture de postes aux femmes, certains rapports de fin de mission le montrent. Voici quelques articles, extraits des archives des districts de Saint-Paul et Amsterdam et de Crozet et datent de 1996 à 2000.

L'un d'eux indique :
"La mission était fortement féminisée avec des volontaires d'aide technique .... Ces jeunes filles s’acquittèrent avec brio et souvent beaucoup de mérite de leurs tâches professionnelles. Le chef ... fut de temps en temps confronté aux menus petits travers de la condition féminine : chagrin d’amour, crises de larmes, caprices, vagabondage sexuel… C’est la vie et ce n’est pas là l’essentiel. C’est lors des OP, dans une petite mission où les effectifs sont réduits, que la féminisation devient parfois un handicap : les demoiselles ont peur de conduire des tracteurs attelés à de lourdes remorques, on ne peut raisonnablement pas leur demander de manipuler des élingues sous l’hélicoptère ou sous la grue à la cale, pas plus que de déplacer et vider des caisses bois ou les conteneurs.
En dehors du respect d’une volonté politique, je ne vois personnellement aucun avantage à féminiser les hivernages."

Un deuxième, plus favorable relate, toujours en parlant de la féminisation :
"C'est le fait marquant de cet hivernage, et elle traduit la volonté des TAAF de vouloir ouvrir les Districts à tous. Je vais en décevoir beaucoup en affirmant que c'est un "non-évènement" et ce statut est la preuve même de sa plus totale réussite. Les raisons de ce succès résident non pas dans une quelconque considération des sexes, mais bien plus dans les qualités humaines et professionnelles des femmes recrutées. Ces qualités sont à peu de choses près les mêmes, nécessaires à la réussite d'un hivernage pour les hommes. Deux des postes clés de la mission sont assurées avec brio par le "beau sexe" (médecin et chef cuisine)."

Un autre rapport de fin de mission édite :
"La féminisation des Districts est un élément modérateur incitant tout un chacun à contrôler son langage, sa tenue. Très positif."

Le district de Saint-Paul et Amsterdam a bénéficié de la présence de plusieurs femmes exceptionnelles, dont celle de Bénédicte ARDOUIN (bien qu'elle n'ait pas hiverné).

Bénédicte Ardouin (1935-2016) contrôle les retombées des explosions nucléaires aériennes et mesure la radioactivité ß, auprès de l'équipe de Gérard Lambert*. Elle est chargée des prélèvements d'aérosols effectués dans les TAAF.
Bénédicte Ardouin
*Gérard LAMBERT est un ancien physicien au CEA, où il a travaillé au Centre des Faibles Radioactivités, qui a fusionné avec un autre laboratoire pour donner naissance au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (laboratoire désormais mondialement connu pour ses études sur les carottes de glace prélevées en Antarctique).

Dans ce cadre, elle se voit confier, en 1980, le programme d'étude du CO2, et la création de la station de mesure de l'île Amsterdam, appelée désormais Pointe B (B comme Bénédicte - Ardouin). Depuis, deux programmes scientifiques fonctionnent, toute l’année, sur cette station atmosphérique.
Avec sa bienveillance, son dévouement aux autres et son travail rigoureux, elle a joué un rôle fondamental pour toutes les études de physico-chimie atmosphérique. Personnalité discrète, elle ne manquait pas de caractère et savait imposer ses idées le cas échéant.

La 52e mission du district est composée d'une seule femme. Il s'agit de Danielle MAZET-DELPEUCH, ex-cuisinière en chef de l’Élysée, sous la présidence de François MITTERRAND. 
Elle a inspiré le film qui retrace sa présence à l’Élysée : « Les saveurs du palais ». Elle est représentée par l'actrice Catherine FROT alors que le rôle de François Mitterrand est joué par Jean d’ORMESSON.
En 2001, Danielle MAZET-DELPEUCH répond à une annonce sur Internet pour une mission en Antarctique, pour laquelle il lui est annoncé qu'un homme de moins de 30 ans est recherché pour le poste et qu'il est inutile de présenter sa candidature. Elle annonce se tenir prête à se plaindre pour discrimination et évoque son expérience à l'Élysée, ce qui permet à sa candidature d'être acceptée. Alors âgée de 60 ans, elle est affectée durant 14 mois sur le district de Saint-Paul et Amsterdam, sur la base Martin de Viviès, pour régaler de ses repas le personnel de la 52e mission.
Fort heureusement, la perception de la présence féminine a bien changé dans les districts, et les TAAF n'hésitent plus à recruter du personnel féminin, dont des cheffes de district. Cela a été le cas pour le district de Saint-Paul et Amsterdam pour les 58e et 61e missions, et aujourd'hui encore pour le district de Crozet.
Le nombre de femmes a varié au cours des dernières années :


La 71e mission du district de Saint-Paul et Amsterdam est composée de 26 hivernants dont 5 femmes
- un médecin (Sylvia),
- une militaire responsable des approvisionnements (Emmanuelle),
- trois volontaires du service civique : une électronicienne/logisticienne (Cécile), une ornithologue (Aline), une chercheuse sur le mercure dans l’atmosphère (Laura).
Les femmes de la 71e mission, dans l'ordre de gauche à droite et de haut en bas :
Sylvia, Laura, Emmanuelle, Aline, Cécile

Saluons le courage et la persévérance des femmes au sein des premières missions, qui ont permis qu'aujourd'hui leur présence ne puisse plus être remise en cause.




Jean-Charles MEGIAS

3 commentaires:

  1. Bonjour
    Cet article a été lu en classe lundi dernier. Bien apprécié par mes élèves. Surtout par les filles qui me demandent pourquoi il y a encore si peu de femmes hivernantes dans les TAAF. Nous attendons avec impatience votre prochain article.
    Amitiés celloises

    RépondreSupprimer
  2. Bises à la mission 71 et en particulier à ses femmes !
    Heureuse de voir que mon affiche sur Bénédicte Ardouin est toujours là, si jamais elle s'abime je pense avoir laissé le fichier sur le réseau de géophy (et peux le renvoyer si besoin si ça n'est pas le cas).

    Isabelle (Ams67)

    RépondreSupprimer
  3. De passage sur ce blog suite au séisme de ce jour. En espérant que tout le monde aille bien.

    RépondreSupprimer