dimanche 16 mai 2021

Dans la série « portraits croisés » L’homme qui murmurait à l’oreille des Phylica

 

C’est armé d’un arrosoir et sur un air de Gaël Faye que l’on peut croiser Ugolin, en train de bichonner ses petites plantations dans la jolie pépinière d’Amsterdam.

Aujourd’hui, cet agent de la réserve naturelle en charge du programme de restauration des Phylica répond en exclusivité à notre demande d’interview, en sirotant une reine des prés, confortablement installé dans la tisanière du plus bel hôpital des TAAF (en toute objectivité bien sûr).

Ø  Qui es-tu ?

« J’ai 23 ans, je pensais être le plus jeune de la base, mais non ! J’ai fait une formation d’ingénieur en horticulture, qui s’est terminée en septembre 2020 ; je suis parti directement après, sur OP 3 [en novembre 2020]. Ça m’a beaucoup intéressé de venir dans les TAAF et j’étais très content de trouver cette offre à la fin de ma formation. »

Une belle opportunité pour lui : « on se laisse transporter, ça fait rêver d’aller sur les îles ». Un moyen également de pouvoir concilier la production végétale, au centre de sa formation, et la préservation de l’environnement, qui lui tient particulièrement à cœur.

Ø  Si tu étais une plante, laquelle serais-tu ?

« On a déjà eu un cours de com à l’école où on devait s’identifier à un dessert, j’avais choisi un fruit. Mais là une plante ?? Ce n’est pas facile. Peut-être un pommier sauvage. Mais la reine des prés c’est pas mal aussi, c’est une grande herbe qui pousse dans les zones humides, et j’adore les zones humides. La fleur sent super bon, super fort et elle a beaucoup de propriétés ; mais c’est un peu biaisé parce que j’ai une tisane de reine des prés dans les mains ! »

Ugolin en mode plante

Ø  On te laisse maintenant présenter le fameux Phylica !

« Un petit arbuste qui fait 3-4m de haut dans de bonnes conditions et monte à 5-6m dans les meilleures conditions. Il ne fait pas un grand tronc comme les arbres de métropole, il est très buissonnant avec des tiges un peu partout. Il n’est pas endémique d’ici, il est indigène d’Amsterdam c’est-à-dire qu’il s’est installé ici naturellement sans l’action de l’homme. Il pousse aussi sur une petite île dans le sud de l’océan atlantique, sur l’île Tristan da Cunha ; les études génétiques ont montré que c’était exactement le même, la même espèce. »

On apprendra aussi que ce Phylica a un frère, ou un cousin, à la Réunion : son p’tit nom c’est Phylica nitida, tandis que sur Amsterdam il se nomme Phylica arborea. Le voici ! :

Le Phylica pousse en permanence, et ne supporte pas le gel.

« En métropole ça conviendrait à un climat de Bretagne, où il fait en permanence doux, avec du vent, de l’humidité atmosphérique ». On se demande du coup si la cornemuse de Flo’ ne pourrait pas aider un peu à la pousse.

  Flo, charmeur de Phylica ? mais breton avant tout

« Ici, ils ont failli disparaître, il restait uniquement Grand Bois, 5 hectares dans les années 80. »

En péril à cause des nombreux incendies, mais aussi des bovins introduits dans les années 1870 par Heurtin.

« On ne sait pas si les Phylica étaient pâturés, grignotés par les vaches, mais dans tous les cas le piétinement pouvait casser les semis et éroder les sols ; les Phylica ont besoin d’un sol assez profond. Après il y a les souris qui grignotent un peu les graines mais pas tant. Le Phylica se fait un peu agresser de tous les côtés depuis qu’il y a des interventions humaines qui ont beaucoup modifié les milieux. »

Avant cela le Phylica était bien à son aise sur Amsterdam, occupant toute une ceinture sur la basse altitude (entre 100 et 250m).

« C’est illusoire de dire que l’on va redonner au Phylica la même place qu’il avait à l’origine parce qu’il y a eu trop de dégradations qui sont irréversibles à notre échelle de temps, mais déjà redonner à l’arbre une dynamique naturelle, pour que sans intervention humaine il y ait de la régénération. Rude épreuve ! »

Alors que les agents de terrain se succèdent chaque année, leurs tuteurs, au siège, sont garants de la vision à long terme. « Ce qui est beau et montre que ça fonctionne, c’est qu’on fait des récoltes de graines sur les 1ères plantations de la réserve naturelle, comme au cratère Dumas : en 8 ans de croissance, on arrive à avoir des Phylica qui produisent des graines et ont un bon taux de germination. » Encourageant !

Boisement âgé (secteur de la ravine des noctambules)

Ø  Peux-tu nous décrire ta semaine-type ?

« Sur une semaine type, je vais passer au moins 3 voire 4 jours sur le terrain ; on a des suivis à faire avec des mesures sur les anciennes plantations (hauteur, diamètre à la base,…) pour voir si les Phylica sont bien en croissance et observer les taux de mortalité sur les populations ; ça c’est une bonne partie du travail ; après tout ce qu’on observe sur le terrain, on le rentre dans la base de données, cela prend quelques heures chaque semaine.

Ugolin, notre maître ès Phylica !

Petit Phylica deviendra grand ! (accompagné d’Antoine)

A la suite de cela, j’ai la pépinière à entretenir. Il y a 3000 plants, ce qui demande un peu d’entretien. J’y passe du temps pour l’arrosage, beaucoup en été, un peu en hiver, et le désherbage aussi. Les autres activités à la pépinière sont le repiquage ou le rempotage, changer les plants de contenant pour qu’ils puissent tenir 2 ans avec un bon développement de racines ; pour cela souvent je fais des missions de 4-5 jours où je fais le rempotage de 300 ou 400 plants.

L’été, j’ai des missions de récoltes de graines : aller sur le terrain dans les boisements anciens pour récolter des graines. En ce moment je fais un peu de prospection pour trouver les nouveaux sites de plantation pour l’hiver, et l’hiver j’ai la plantation des Phylica ; et à chaque fois que je fais du terrain, j’ai quelques heures au bureau qui correspondent, comme pour rentrer la trace GPS quand on fait une prospection et qu’on repère un spot pour planter une cinquantaine de Phylica, tout cela on le rentre sur un logiciel de cartographie.

Ensuite, 3 ou 4 fois dans l’hivernage, je vais lancer une série de germinations, c’est là que je viens à l’hôpital justement pour mettre à stériliser le matériel, ensuite je vais au laboratoire pour passer les graines dans l’acide sulfurique. Après, pendant 1 mois, les graines sont dans les boîtes de pétri et je les sors quand elles ont germé pour les mettre en terre. »

Les objectifs de l’année ? 800 à 900 plantations en milieu naturel, et 1000 germinations.

 « Tous les 2 ans, il y a une plantation héliportée sur un site isolé assez loin, et du coup la personne en charge du Phylica doit planter 1100 à 1200 plants. » Mais cette année, pas de plantation héliportée, tout se fera à pattes !

« Après tout seul je ne ferais rien, c’est toute la mission qui peut participer, moi j’organise les chantiers, je coordonne, mais il faut qu’on soit à chaque fois 4 voire 5 pour faire des plantations. »

Ø  En quoi la pratique de ton métier est différente ici ?

Il répond sans hésitation : « C’est l’autonomie. C’est génial. Le fait de me dire, quels que soient les horaires, la journée, peu importent les samedis et dimanches ici, […] je peux faire mon travail dans de bonnes conditions quand je veux. Je pense que c’est quelque chose qui fait peur pour le retour, ce n’est pas facile de retrouver ça, autant d’autonomie dans le travail. J’ai un grand coup de chapeau à tirer à Pierre notre tuteur [référent de Damien et Ugolin au siège] qui nous laisse une marge de manœuvre énorme et nous fait confiance. » (quel fayot !! J)

Ø  Raconte-nous un souvenir fort ou une anecdote amusante

Comme souvenir fort, Ugolin choisit sa première arrivée à Del Cano, et sa vue splendide sur Entrecasteaux. Ou « l’arrivée sur l’île aussi, l’isolement on le ressent peu sur base je trouve, mais plus de l’extérieur, du bateau, où on voit ce petit caillou ».

Pour les anecdotes amusantes, ça sera les (trop) nombreuses chutes en raquettes dans les scirpes, du moins tant qu’elles ne font mal qu’à l’ego ; « tout le monde y passe ».

Ø  Tes projets au retour ?

« Je vais rester dans le domaine de l’environnement, de la conservation.

C’est dur de trouver des projets de restauration, j’en connais un seul en métropole, dans le parc des Calanques, sur l’astragale de Marseille » (je précise à Ugolin que pour moi l’astragale est un os du pied, mais soit !)

On devrait retrouver Ugolin dans une zone de moyenne montagne, le Massif central ou le Jura peut-être.

« Ma formation était beaucoup axée sur la production de fruits de légumes etc, et j’adore cela, peut-être que ça me rattrapera en rentrant […], et que je passerai ma vie à alterner entre les 2, en maraîchage - arboriculture et dans la conservation. Il y a d’autres espèces qui peuvent être comme le Phylica entre la conservation des milieux et la production, comme la myrtille sauvage sur laquelle j’ai travaillé avant de venir, dans des zones souvent protégées, les landes de moyenne altitude, c’est super intéressant. Donc on verra, le futur est incertain. »

Ø  Ton conseil à un futur candidat ?

« Ne pas trop regarder à l’avance, ne pas se gâcher la surprise, chercher à savoir comment c’est sur Amsterdam, à quoi ressemble un Phylica, les boisements, la base, ce qu’on va vivre, il faut garder une part de mystère.

Il faut savoir dans quoi on se lance clairement sinon tu peux vraiment tomber de haut, mais garder une part de mystère pour pouvoir être ébahi ! ».

Ø  Un mot de la fin ?

« A la réserve naturelle, en général, on vient pour des métiers passion, ce qui nous intéresse c’est le lieu, les oiseaux, les plantes etc… Pour le coup, on est vraiment comblés, moi j’adore ce que je fais, c’est vraiment génial ; et en plus de ça, ce qui se rajoute et qui est fort, c’est la vie en communauté, à laquelle on s’attend, mais sans trop savoir, parce que ce n’est pas notre cœur de métier.

On vient pour le professionnel et on découvre les relations humaines qui font que la vie sur base se passe super bien

Ce serait mon mot de la fin. »

Ugolin & Sophia

 

rédactrice : Camille Donnaté (Bibams 72)

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