Brachypteragrotis patricei Viette 1959, est un papillon endémique de l’île Amsterdam, c’est-à-dire qu’il existe nulle part ailleurs dans le monde. Découvert il y a près de 66 ans, aucune photo de spécimens en milieu naturel n’avait encore été publiée.
1. L’incapacité de vol
Particularité singulière caractérisant l’espèce, ce papillon sub-aptère a perdu la capacité de voler au cours du temps. Bien que les causes de ce brachyptérisme (raccourcissement des ailes) ne puissent pas être explicitées avec certitude, plusieurs hypothèses évolutives apportent des éléments de réponse : les conditions climatiques rudes et en particulier les vents violents qui règnent sur les hauteurs de l’île Amsterdam réduisent fortement l’intérêt du vol pour les insectes soumis alors à de forts risques d’être emportés. Les surfaces alaires des lépidoptères sont également des zones corporelles de déperdition de chaleur défavorables à la survie en milieu sub-tropical. L’absence de prédateurs naturels, avant les introductions provoquées par l’arrivée de l’Homme, a pu également oeuvrer en faveur de la sélection de spécimens dénués de capacité énergivore d’envol. Enfin, il est admis que l’ancien groupe des hétérocères auquel appartient Brachypteragrotis patricei (Noctuidae noctuinae) possède une tendance génétique au brachyptérisme.
On retrouve ces caractéristiques morphologiques chez d’autres espèces d’insectes présents dans les sub-antarctiques et dont l’évolution les a amenés à opter pour des stratégies parfois différentes. La transformation des ailes en réserves de graisses favorise en outre leur survie au regard des températures froides qu’elles endurent. De leur côté, certains insectes saprophages présents sur les milieux côtiers, où il y a une forte densité de faune et donc une importante densité de nourriture, ne dépensent pas inutilement leur énergie à aller chercher de quoi se nourrir.
Ce trait est aussi connu de certains diptères (mouches) sub-antarctiques. Certains aptères comme Calycopteryx moseleyi, Anatalanta spp. ou Siphlopteryx antarctica, d’autres sub-aptères comme Paractora dreuxi, Amalopteryx maritima ou Apetaenus litoralis.
La Caldeira (715m), où a été découverte l'espèce. À gauche la Dive le sommet de l’île (881m), à droite le Museau de Tanche (748m). |
Cette espèce a été découverte par Patrice Paulian, biologiste, le 23 février 1956 au coeur de la caldeira, puis décrite par Pierre Viette en 1959, un entomologiste français réputé, spécialiste des lépidoptères, qui a particulièrement travaillé sur les papillons de Madagascar. Le nom de genre provient du latin brachy (=raccourci) / ptere (=aile) et agrotis étant le nom d’un autre papillon présent sur l’île (Agrotis ipsilon), ailé lui, de la même famille et ayant des caractéristiques morphologiques en commun. Cette espèce à large répartition est d’ailleurs présente dans les autres territoires marins du sud-ouest de l’Océan indien (Mayotte et Réunion) et en France métropolitaine. Le nom d’espèce a été donné par P. Viette au récolteur Patrice P.
Brachypteragrotis patricei sur Sphagnum cavernulosum (endémiques stricts d'Amsterdam) |
4. Responsabilités face à sa conservation
Appartenant à la très grande famille des Noctuidae (noctuelles) et à la sous famille des Noctuinae, le genre Brachypteragrotis est dit monospécifique, c’est-à-dire qu’il n’existe qu’une seule espèce. Il est donc éloigné de toutes les autres espèces connues dans le monde, bien qu’il a l’air de se rapprocher de Dimorphinoctua goughensis, donnant à la réserve naturelle des Terres australes françaises une grande responsabilité dans la conservation d’un patrimoine génétique unique. Il fait partie des 4 espèces de papillons endémiques du district de Saint-Paul et Amsterdam.
Bien que l’observation n’a pas eu lieu sur Amsterdam, il a été avéré que Dimorphinoctua goughensis et Peridroma goughi étaient consommés par les souris sur l’île de Gough. Il est alors très probable que Brachypteragrotis patricei soit également une espèce indigène impactée par la prédation des mammifères introduits. Dans ce contexte, l’élimination simultanée des rats surmulots et des souris planifiée dans le cadre du 11ème FED RECI (Restauration des Ecosystèmes Insulaires de l’océan Indien) en 2023, devrait favoriser sa conservation à court terme face aux menaces que représentent les prédateurs introduits.
À droite une loupe de terrain pour rendre compte de l'échelle
5. Description morphologique
La petite taille de l’imago (stade adulte), 11 à 12mm d’envergure pour 12 à 13mm de longueur, et sa coloration brune le rend très discret mais quand on le regarde de près il a la particularité, hormis au niveau des yeux, d’être entièrement revêtu d’écailles. Les ailes, de 3 à 4mm, sont réduites à l’état de moignon, les postérieures plus petites que les antérieures comme c’est le cas chez toutes les espèces citées plus tôt. Elles ne dépassent jamais le 2ème segment abdominal. Les antennes, de 5 à 6mm, sont plus épaisses chez le mâle que chez la femelle. Soyeuses, elles ont une couronne de courts cils à la base de chaque article. Les 3 paires de pattes sont abondamment couvertes de longues épines, les postérieures faisant environ 6mm.6. L’identité inconnue de la chenille
Aujourd’hui le mystère demeure quant à l’identité de sa chenille et des suivis vont être prochainement mis en oeuvre pour mieux connaître le stade juvénile et la/les espèce(s) de plante(s) au(x)quelle(s) la chenille phytophage est dépendante (plantes hôtes).
7. Habitat d’intérêt patrimonial
Inféodé aux hautes altitudes, où il apparait commun, on le rencontre quasi exclusivement sur les milieux tourbeux. Il a, pour l’instant, été trouvé entre 535 et 740m d’altitude. Ces milieux tourbeux forment un écosystème à forte valeur patrimoniale car plusieurs espèces endémiques de l’île y sont également présentes comme l’albatros d’Amsterdam (Diomedea amsterdamensis), des sphaignes comme Sphagnum cavernulosum et Sphagnum complanatum, ou encore des plantes vasculaires comme Agrostis delislei, Plantago stauntonii et Plantago pentasperma qui pourraient être les plantes hôtes de la chenille. 8. Statut de menace
- B1 = zone d’occurrence estimée inférieure à 100 km2. [C’est-à-dire les zones tourbeuses que l’espèce pourrait peupler, ici estimée à 17.25Km2 soit 29.7% de la superficie de l’île. La zone d’occupation, où il faut retirer les habitats non favorables tels-que les falaises et les points d’eau, est presque similaire.]
Texte et photos : Flavien Saboureau ■
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